CERCLE LORRAIN de ~ PHILOSOPHIE et de ; SCIENCES HUMAINES
Faut-il avoir peur de la science ?
Compte-rendu
du Café Philo. du 19 janvier 2003
A la fin du 18'eme siècle, la science naissante fut considérée par les philosophes des Lumières comme source du progrès et du bonheur universel. Aujourd'hui l'homme s'interroge et mesure les bienfaits et les dommages issus du formidable développement depuis deux siècles des sciences et de leurs applications techniques et économiques.
Selon le voeu de Descartes les hommes se sont
rendus « comme maîtres et possesseurs de la nature » et il en est résulté que «
la conservation de la santé laquelle est sans doute le premier bien et le
fondement de tous les autres biens de cette vie » s'est considérablement
améliorée grâce au progrès scientifique. En effet l'espérance de vie a
quasiment doublé entre le milieu du 18" siècle et le milieu du 2O'eme
siècle.
Toutefois nous ne partageons plus l'optimisme de
Descartes qui écrivait que « c'est dans la médecine qu'on doit chercher... quelque
moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont
été jusques ici. » Il est sûr que les hommes sont devenus plus habiles mais
peut-on dire qu'ils sont devenus plus sages ?
L'aphorisme célèbre de Rabelais « Science sans conscience
n'est que ruine de l'âme », peut ici trouver sa justification. Car les hommes
ont cru que la science pouvait être la réponse unique, totale et définitive aux
incertitudes de la condition humaine. Ce fut le « scientisme » qui eut la
prétention de remplacer tout à la fois la religion et l'éthique. Le
matérialisme marxiste( historique et dialectique) en fut la forme la plus
achevée.
Les risques courus par l'humanité à cause de la
dissémination de l'arme nucléaire ne nous font-ils pas craindre que la limite
entre la folie et la rationalité ne puisse être franchie à tout instant par
quelque tyran Folamour ?
On peut dire aussi que l'humanité devient sage
quand elle s'approche du bord du gouffre et qu'il faut qu'elle atteigne le
risque majeur pour être raisonnable. Il aura fallu trois guerres, dont deux
mondiales, plusieurs dizaines de millions de morts, dont ceux de la Shoah -
sommet, jamais atteint auparavant, de l'intelligence au service de la cruauté-
pour que la paix s'installe définitivement sur l'Ouest du continent européen.
Il aura. fallu les millions de morts des diverses formes de la répression
stalinienne pour que les peuples de l'Est européen se libèrent définitivement (
?) de l'utopie marxiste.
Toutefois nombre d'historiens et de philosophes pensent
que la bombe atomique - possédée par les U.S.A. et l'U.RS.S. - a permis, entre
1945 et 1989 et grâce â « l'équilibre de la terreur » que la guerre « froide »
ne devienne jamais « chaude » et qu'il en est résulté une sorte de paix «
minimale » qui est bien d'abord l'absence de guerre. A l'abri du « parapluie
américain » les peuples d'Europe de l'ouest ont connu une très forte croissance
économique.
Face actuellement à la
possibilité d'expérimenter le clonage reproductif - à ne pas confondre avec le
clonage à visée thérapeutique la question est posée : peut-on contrôler les
progrès scientifiques ? peut-on interdire à des savants tel ou tel objet de
recherche ?
Il est sûr que l'homme
est animé d'un désir insatiable de connaissance et de découverte et il semble
impossible d'imaginer que l'on puisse freiner le développement continu des
connaissances scientifiques. Toutefois la communauté scientifique s'est dotée
de règles déontologiques qui encadrent les travaux des hommes de science.
Ainsi, les expériences menées
jusqu'ici sur diverses espèces animales démontrent que le clonage reproductif
est théoriquement possible chez l'homme. Mais la vérification de cette
théorie nécessite une expérimentation sur l'être humain qui est inadmissible
suivant tous les standards admis de la pratique médicale, parce que les risques
de « ratés » sont énormes. Tout essai de clonage reproductif chez l'homme est
donc une activité purement et simplement criminelle. Il est donc possible de
comparer le Docteur Antinori (partisan résolu du clonage reproductif) au
Docteur Mengelé (qui se livra, à Auschwitz, à toute sorte d'expérimentations
mortelles sur les détenus).
Les recherches
scientifiques coûtent de l'argent et il est clair que le progrès scientifique
est étroitement dépendant des décisions des Etats et des entreprises qui
financent les activités des laboratoires. La question se pose donc de savoir
dans quelle mesure la science n'est-elle pas que la servante de l'économie
capitaliste et mondiale.
Et si Bergson avait
raison, lui qui disait que « la mécanique exigerait une mystique » et que « ce
corps, agrandi démesurément par la technique... attend un supplément d'âme. » ?
Mais cerner la complexité du concept d'âme n'est pas chose facile et il n'est
pas sûr que l'âme - principe immatériel par définition - puisse faire
l'objet d'un quelconque « supplément » - mot relevant strictement de l'univers
matériel.
Laissons
le poète conclure par cette phrase énigmatique : « La vraie civilisation n'est
ni dans le gaz ni dans la vapeur mais dans la diminution des traces du pêché
originel. » C.Baudelaire
Bernard AUBERT 11-02-2003